Restaurateurs ! Brûlez vos soutiens-gorge !


Dany Marquis

J’essaie de suivre un peu le « hype » concernant l’ouverture du site www.coffeecommon.com.  Selon le site, cet espace se décrit comme « A space where the best coffee brands collaborate. »  Et cela va vous surprendre, mais Brûlerie du Quai n’en fait pas partie.  Sans blague, cette initiative est extraordinaire et j’envie les torréfacteurs américains d’être aussi avancés dans le domaine du café.  On parle d’un regroupement de torréfacteurs connus et prisés aux US.  Durant mes petits voyages, il m’arrive de réfléchir au marché québécois en me disant que quelque chose cloche.  Si je mets de coté Brûlerie du Quai pour ne pas avoir l’air chauvin, il y a au Québec plusieurs excellentes entreprises de torréfaction, comme la Brûlerie St-Roch par exemple.  Toutefois, le marché du café spécialisé au Québec n’arrive pas à débloquer.  Les torréfacteurs regroupés par Coffeecommon ont pris une envergure qui leur permet d’avoir une visibilité et une image marketing très efficace.  Leur approche permet une évolution de l’utilisation du café comme breuvage de luxe et non de commodité (avec sucre et lait comme le dit coffeecommon)  Vous comprendrez mon accord avec ça.  Et je me demande toujours, pourquoi les torréfacteurs n’arrivent pas à percer plus que ça le marché québécois.  Tout d’abord, on doit comprendre que nous avons au Québec une entreprise d’envergure, Van Houtte, qui a tracé un sillon énorme dans l’économie québécoise.  Van Houtte est partout : épiceries, dépanneurs, garages, restaurants, hôtels, partout.  C’est fort !  Mais malgré la profondeur du sillon, Brûlerie du Quai et d’autres torréfacteurs réussissent à tirer leur épingle du jeu.  Mais de là à atteindre une notoriété équivalente à 49th ou Intelligentsia, il y a un pas de géant.  Prenons le cas de BDQ.  Toute l’équipe rêve d’importer tous les cafés des producteurs, d’avoir un labo de luxe, de faire de la R&D, d’avoir des Strada dans les cafés, de commanditer des baristas dans les compétitions, etc.  Pourquoi ne le faisons-nous pas ?  On n’a pas de volume.  Une entreprise comme PT’s coffee doit torréfier aux alentours de 150 000 lbs de café par an.  Ils font de la qualité, c’est sûr, mais plusieurs torréfacteurs du Québec en font aussi.  Je crois que nous sommes confrontés à une culture du café imposée par Van Houtte, par l’entremise de ce que j’appellerais les « négociants de café Old School ».  Ces négociants achètent de Van Houtte, Kraft, Mother Parker, etc, et revendent le café dans leur marché de proximité.  Leur technique : la fidélisation par la contrainte.  Bref, le prêt d’équipement en échange d’achat de café.  On doit comprendre que le prêt d’équipement est une méthode pour fidéliser le client par la contrainte.  Les équipements standards de café ne sont pas nécessairement coûteux et peuvent être amortis en quelques mois.  Cette technique est utilisée par nos fameux négociants de café afin de compliquer et rendre très émotif et personnel le changement de fournisseur de café.  Il n’est pas rare de voir du chantage et même de l’intimidation lorsqu’un client potentiel parle de changer de fournisseur de café.  Cette façon de faire est dominante partout au Québec et au Canada.  Ça m’étonne même que les pétrolières ne nous prêtent pas les voitures…Cette technique très efficace se répand même à la maison avec la vente de cafetières de types Keurig, Tassimo, Nespresso.  Ils ont attaché les restaurateurs, maintenant, ils attachent les consommateurs.  Selon moi, nous n’aurons pas d’entreprise de torréfaction comme celles qu’on voit aux US tant que nos restaurateurs ne se porteront pas acquéreurs de leur équipement.  À ce moment, nous pourrons nous battre à armes égales et faire valoir nos produits et services.

C’est d’ailleurs à cause de cette façon de faire « fidéliser par la contrainte» que BDQ a ouvert ses propres boutiques, afin d’avoir un volume qui nous permette de vivre et de propulser BDQ.  Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls, La Brûlerie St-Roch a aussi ouvert d’autres cafés, la Brûlerie de Québec a ouvert aussi d’autres succursales sous la même formule.  Selon moi, c’est une réponse directe à notre marché.  Au lieu de nous concentrer sur notre rôle d’importateur, de torréfacteur et de pousser dans cette voie, la nécessité nous pousse à diffuser nos forces entre deux formes d’entreprises.

Et si je peux me permettre une analogie, qui je l’espère ne sera pas trop boiteuse, la relation client/ fournisseur de café ou autre est comme une relation de couple. À une certaine époque, pas si lointaine, l’homme amenait le pain et le beurre à la maison, créant dans le foyer une relation de dépendance.  Le modèle de la femme au foyer était le modèle dominant.  La femme reléguée au rôle de nourrice et de ménagère.  Vous connaissez tous les bases du féminisme.  À mon avis, nous sommes, au Québec, dans la relation client/fournisseur de café, à l’ère du patriarcat.  Le client ne contrôle pas son approvisionnement de café.  Certains ne le savent pas, d’autres commencent à se questionner et d’autres ont carrément brûlé leur soutien-gorge (Pas au sens propre là là là !!  Ils se sont acheté des cafetières !)  Ils copient alors leurs consœurs américaines, indépendantes depuis plusieurs années, en achetant des mêmes fournisseurs qu’eux.  Mais viendra un jour où ce modèle deviendra la norme.  Où le restaurateur utilisera le café comme on utilise une carte de vin car ce breuvage est aussi riche que le sang de la terre.  En faisant de la sorte, les entreprises de torréfaction pourront alors prendre un rôle beaucoup plus proche de leur nature.  Et peut-être qu’alors, au Québec, on pourra nous aussi avoir un regroupement comme Coffeecommon.

Alors, si vous connaissez un restaurateur, invitez-le à brûler son soutien-gorge pour l’émancipation des torréfacteurs du Québec !


3 commentaires


  • Dany Marquis

    Bonjour Marc,

    Merci d’avoir pris le temps de répondre. L’analogie avec la bière et les micro-brasseries est intéressante. Pour ce qui est de contacter les restaurateurs pour le café, je ne peux parler pour les autres mais dans le cas de BDQ, c’est moi le responsable des ventes. Et je peux te dire que nous gagnons notre place un client à la fois. On a déjà plusieurs clients restaurateurs.
    En ce qui a trait à l’importation directe, l’idée d’un groupe est intéressante et a mainte fois été discuté avec d’autres entreprises de torréfaction. C’est un concept difficile à mettre en place. J’en ai d’ailleurs discuté avec certains d’entre aux coffee and tea show l’année passée. Comme dans tout projet, ça prend un leader, peut-être que BDQ jouera un rôle dans cette voie dans l’avenir. D’ici là, on tient notre rôle d’éducateur à cœur. Dégustation et stage en atelier de torréfaction font partie du quotidien, surtout l’été où nos clients des grands centres viennent en vacances chez-nous.
    Et lorsque vous parler des café trop torréfié, je suis à 100% d’accord avec vous. La majorité de nos profiles de torréfaction ne dépassent pas le 2e crack. On se fait souvent comparer à d’autres brûlerie qui ont des profiles très foncés et noirs. C’est souvent dû à un manque de connaissance et à des limitations de leur équipement. Je vois souvent des torréfactyeurs sans aucun indicateur électronique de température, sans ajustement de la convection ou des gas. J’expliquais justement à une cliente cette semaine, qui me parlait d’un café acheter à Montréal, noir noir noir, pourquoi nous préférions les cafés moins torréfiés. C’est pas évident car tu ne veux pas dire à la cliente que ce qu’elle aime n’est pas bon mais tout simplement que le caramel formé durant la torréfaction contient toutes les arômes du terroir du café et qu’en carbonisant complètement les sucres, on perd la subtilité du café. Bref, un mélange d’éducation et de diplomatie, déjà qu’on me trouve souvent snob lorsque je parle du café, je dois faire attention pour ne pas vexer des clients. J’ai déjà dit l’expression « jus de chaussette » à la télé et on m’en parle encore…
    On fait tout de même des cafés torréfiés après le 2e crack mais c’est bien parce que les clients en demande. On torréfie un colombien et un mélange espresso à ce niveau. Nos meilleurs café sont brun et « city + » gros max. Le gros vendeur à la BDQ toute catégorie est un grain du Mexique, du Chiapas. Je le torréfie « cinnamon roast », une coche en dessous de brun, juste après le 1er crack. C’est un bon arabica, très dense (SHB), aux arômes d’agrumes.
    J’espère ne pas vous donner de frissons à cause de l’appellation « Brûlerie » du Quai. C’est assez rigolo comme tendance j’en conviens. D’ailleurs, si c’était à refaire je prendrais une autre appellation. Cette situation rend difficile la différenciation entre les entreprises. Je crois que la tasse parlera d’elle-même. C’est comme lorsque j’étais en 5e année, il y avait 5 Mélanie dans ma classe. Il y en avait des gentilles, d’autres moins.
    N’hésite pas si tu as des questions, et si tu passes dans mon coin, fait-nous signe.
    Dany


  • Constantin Ioan

    Bonjour Dany,

    Je comprends la réaction des torréfacteurs face à la situation actuelle du marché. La hausse des prix suscite beaucoup de crainte et d’incertitude, comme c’est le cas pour toute fluctuation subite du prix d’une commodité. Nous assistons présentement à la transformation d’une industrie qui touche un vaste nombre d’acteurs, sans égard à la classe sociale ou à la nationalité. Les torréfacteurs qui font aussi de la vente au détail sont particulièrement appelés à réagir étant donnée leur position en “première ligne” face aux consommateurs.

    Cependant, je crois qu’il est inutile de lancer un appel aux restaurateurs. Ceux-ci n’ont aucune raison de favoriser un torréfacteur pour des raisons morales ou éthiques. Leurs principaux intérêts sont économiques car ils font face eux aussi aux mêmes contraintes du marché dans les secteurs qui les concernent (prix des aliments, fournitures, main d’oeuvre, etc.).

    Nous au Nektar sommes persuadés, comme le suggère Marc plus haut, que la solution passe par l’éducation du consommateur. C’est aujourd’hui (enfin) un acteur clé dans la chaîne caféicole et son pouvoir passe la connaissance. Les torréfacteurs américains comme Intelligentsia, PT’s, Terroir, et beaucoup d’autres l’ont compris et tous leurs efforts sont concentrés dans cette direction. Le consommateur doit connaître la région (climat, altitude, etc.), les cultivars, le procédé de transformation (dépulpage par voie humide, naturel, séchage au soleil, etc.), bref tout ce qui permet la mise en valeur du terroir. De cette façon il pourra mieux connaître ses goûts et découvrir toute la diversité et la richesse qui existe en caféiculture, en plus d’être éveillé aux dynamiques socio-économiques propres à chaque coin du monde. Là réside la clé pour se différencier d’un géant grossiste comme Van Houtte qui offre du café anonyme et générique. Son grand pouvoir d’achat lui permet des prix dévastateurs pour la compétition mais c’est aussi son talon d’Achille. Van Houtte ne sera jamais en mesure de valoriser son produit au-delà d’un dénominateur commun relativement abstrait tel que “Costa-Rica brun” ou “Mexique noir”. C’est l’équivalent oenologique du “demi-litre du marchand” versus un Morgon de Marcel Lapierre 2009 du Beaujolais, produit en biodynamie sans sulfites ni levurage, engrais chimiques ou désherbants. Lorsque les consommateurs auront accès à ce type de nectar dans le domaine du café, nul doute que les restaurateurs s’empresseront de suivre avec les meilleurs grands crus et débourseront volontiers pour un moulin respectable.

    Sincèrement,

    Constantin
    Le Nektar
    www.lenektar.com


  • Marc

    Étant à la toute fin de la chaîne de production en tant que consommateur, je trouve que vous relevez certains points intéressants.

    J’aimerais faire une analogie avec la bière. Il n’y a pas si longtemps, Molson, Labatt et O’keefe contrôlaient le marché avec des produits, disons, sobres pour être poli. Puis, quelques illuminés se sont mis à faire des produits complètement différents de ce qu’on trouvait sur le marché. Oh, on avait un accès restreint à des produits d’importations, mais la très grande majorité des gens ne les connaissaient pas. Comment en sommes-nous arrivés où nous en sommes aujourd’hui ? Je doute que les restaurateurs aient contacté les micro-brasseries pour les prier de leur vendre leur bières…

    Concernant le volume, je ne pense pas que PT’s (ou Counter Culture ou Intelligentsia) aient commencé par torréfier 150 000 livres de café. Ils étaient petits avant de devenir grands. Si vous n’avez pas le volume pour faire affaire directement avec le producteur, pourquoi ne pas vous associer avec une autre maison de torréfaction ? Ou fonder une guilde des torréfacteurs québécois et faire des achats de groupe, partager les connaissances, les moyens publicitaires et faire l’éducation des consommateurs ? Parce que tout part de là, n’est-ce pas ? Il faut faire en sorte que le consommateur sache que quelque chose existe à part de Tim Horton’s, Van Houtte et Starbucks. Lui faire comprendre que le café se dégrade et que celui offert en vrac au marché est probablement rance. Que l’âcreté n’est pas une qualité… Et de ce côté, laissez-moi vous dire que beaucoup trop de torréfacteurs font encore des cafés trop torréfiés ! Je ne me souviens pas d’avoir eu l’envie de lécher des popsicles calcinés à plus d’une reprise pendant une même visite. J’ai plutôt tendance à éviter… Ça doit être pour cette raison que j’ai quelques frissons à chaque fois que je vois “brûlerie” dans le nom d’une maison de torréfaction. Je dis ça de même…

    Sur ce, je nous souhaite du meilleur café dans l’avenir. Pour ma part, je continue mes explorations et expériences dans ce merveilleux domaine.

    Salutations,

    Marc


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