Mich Café de Chandler, et un abrégé d'histoire gaspésienne


Dany Marquis

J’ai travaillé dans les derniers mois au montage d’un coffeeshop, qui a ouvert ses portes le 21 avril dernier.  C’est toujours un plaisir pour moi d’accompagner un promoteur qui a eu la piqûre du café, mais lorsque l’ouverture est située en Gaspésie, le projet devient pour moi un acte de résistance.  Chaque commerce indépendant qui s’établit sur un territoire permet de stimuler l’économie locale, et permettez-moi de prêcher pour ma paroisse, mais je considère les coffeeshop comme un élément vital de l’écosystème économique.  Pas que ça génère des millions de dollars et des centaines d’emplois, mais parce qu’en général, ça ajoute au bonheur d’une communauté.  Remarquez que je considère la même chose pour les boulangeries artisanales, les boucheries de quartier, les poissonneries, etc.  Tous ces petits commerces  transpirent la passion et contaminent positivement la communauté.

Et lorsqu’une communauté évolue dans un univers mono-industriel depuis plus de cent ans, en vivant échecs, déceptions, et promesses d’ivrogne, on peut sentir une certaine fatigue générale et un cynisme face aux nouvelles entreprises, surtout les grosses qui viennent siphonner les ressources naturelles.  La Gaspésie est remplie de ce type de ville et de village. 

Et si l'on tend l’oreille, on peut y entendre une sourde colère.  Des usines fermées, le chômage, l’exploitation des pêcheurs, la fermeture des villages par le BAEQ en 70, les expropriations...  Au bout de deux générations, la majorité oublie ce qui s’est passé, mais au fond du cœur, il reste quelque chose.  Un héritage qu’on se passe sans le vouloir.

Et, c’est avec cette trame de fond dans l’esprit que j’ai donné un coup de main à Jean-Michel Audet pour mettre sur pied son coffeshop à Chandler. 

Le défi était de monter un coffeeshop simple, dans l’esprit des cafés de 3e vague tout en gardant l’approche italienne du bar à café.  Du très bon café, sans le snobisme et le côté hipster, qui de toute façon ne ferait pas long feu à Chandler.  Et ce fut fait.  Et le départ se fit sur les chapeaux de roue avec une anticipation rarement vue!  Le café est bon, les baristas ont compris rapidement l’art du café, le tout est fait sans bling bling.  Même le hipster du village est content d’y commander son ristretto!

Je n’ai parlé à personne de ce que représentait pour moi l’ouverture de ce petit café, mais après quelques semaines de l’ouverture, je peux sentir que j’avais visé juste.  Il se passe quelque chose à Chandler.

La GaspésiaLe local choisi par Jean-Michel est parfait, car sa façade donne directement vers la mer, en passant par-dessus l’immense terrain vague laissé par la démolition de la Gaspésia.   La Gaspésia, c’était énorme, laid, au bord de la mer, blanc-beige-gris avec une horrible ligne bleue aux angles carrés.  Qui a bien pu dire en réunion : ‘’on va peinturer une grosse bande bleue sur le devant, ça va faire beau…’’?

Le Mich Café est pour moi la fleur qui défonce l’asphalte de la vieille rue craquelée.  Un peu comme j’avais vu quand j’avais 7-8 ans à St-Paulin Dalibaire.  Un village fermé, abandonné, et au milieu d’une plaque de béton, une fleur.  J’avais remarqué la fleur.  J’avais remarqué aussi le silence, la lourdeur de l’air, et à travers les histoires de pêche, rien sur l’histoire de ce village.  J’ai compris plus tard en écoutant le film de Jean-Claude Labrecque Les Smattes et un autre film de l’ONF sur la fermeture de St-Octave-de-l’Avenir que vous pouvez écouter en cliquant sur ce lien en bas du texte. J’ai compris, et maintenant je peux voir les cicatrices. 

Il y a aussi tellement à dire sur l’histoire de Chandler et des grandes entreprises qui  sont venues s’y installer.  Des générations de Gaspésiens ont vécu de l’exploitation de la forêt et de l’usine de pâtes et papiers.  Je vous invite à googler les mots ‘’Usine Gaspésia Chandler’’ pour en savoir plus, vous pourrez y voir des pages de nouvelles s’alterner entre un espoir de continuer et une annonce de fermeture. 

Et je vous invite fortement, lors de votre prochain tour de la Gaspésie, à faire un arrêt à Chandler, d’aller voir le petit Mich Café et les commerces de la Rue Commerciales qui sont en train de naître.  Ensuite, vous descendrez en bas de la côte pour aller sur la rue de la Plage, vous y trouverez Nova Lumina. 

Maintenant que la Gaspésia n’y fait plus d’ombrage, de jeunes pousses voient le jour!  Il suffit parfois d’une seule goutte pour faire déborder un vase, eh bien je crois que ça prend une seule goutte pour faire changer les choses.  Et vous me pardonnerez mon chauvinisme, mais selon moi, ce petit café est ce qui manquait, ce qui sera le point de bascule de toute une communauté.  J’espère que l’audace et le courage de Jean-Michel d’offrir à la ville autre chose que du Mouette-Café contamineront d’autres personnes et que nous y verrons bientôt d’autres commerces de proximité.   Une boulangerie artisanale, une microbrasserie, une fromagerie, avec une population de 7500 personnes, y a moyen, en étant solidaires, de faire vivre un beau chapelet de petites entreprises.  Allez prendre un café et jasez business!  Que les idées foisonnent!

On est loin de remplacer les gros salaires des 500 emplois disparus avec la Gaspésia, mais selon moi, vaut mieux baser notre économie sur 50 entreprises de 10 employés que de tout mettre nos œufs dans le même panier. 

Et je terminerai sur ceci, après avoir lu et écouté les reportages sur la Gaspésia, additionnez tout l’argent investi dans la Gaspésia par le gouvernement, et divisez ça par les 50 entreprises de 10 employés.  Et essayez d’imaginer ce que serait le portrait de la ville aujourd’hui si cette approche avait été privilégiée!  Et on dirait qu’on revit la même chose avec une entreprise de ciment…

Restons positifs et travaillons d’une autre façon!

Longue vie au Mich Café!  Et que la Gaspésie soit un modèle de prospérité et d’entraide mutuelle!

Et merci Jean-Michel de nous avoir fait confiance!

Dany


6 commentaires


  • Monique Poirier

    Beau texte, bien écrit.
    Que d’espoir pour vous.
    Gardez le cap. On passera vous voir


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